Souvenirs du jardin de mon père #2

Un jour de ciel bleu, comme d’habitude, lorsque Olivier et moi nous ennuyions, une partie de foot s’imposait. Partie qui se résumait à une séance de tirs aux buts, chacun gardant ses propres filets. Enfin filets… Disons, des arbres en guise de poteaux et un grand vide derrière. Dans notre ancien jardin, les haies de thuyas et les buissons servaient de filets en effet. Nul besoin de courir loin pour récupérer le ballon. Il suffisait de s’accroupir, de se pencher en avant, de se battre tant bien que mal contre feuilles et branches, en évitant les épines, et l’affaire était faite.

Oh parfois bien sûr, la balle atterrissait souvent chez un voisin. Ou dans la rue. Il fallait aller sonner. Mieux : escalader le portail, après avoir balayé du regard autour de soi, cherchant des yeux ceux de voisins curieux. Le seul arbre fruitier à ce moment-là était un cerisier qui, je crois, n’a pas trop souffert de nos échanges musclés.

En revanche, notre nouvelle maison nous offrait un très grand jardin longitudinal. Des arbres fruitiers étaient plantés, à l’œil, de part et d’autre en ligne parallèlement. Idéal donc, pour improviser des poteaux délimitant nos buts. Chacun ainsi placé, nous nous tenions à bonne distance l’un de l’autre, libres de nous envoyer des « boulards ».

Or, ce jour-là, nous étions en pleine saison des fruits. Mon père vaquait par-ci, par-là vérifier que ses récoltes seraient bonnes. Tout en œuvrant à couper du bois, ramasser des feuilles, des fruits avant de repartir avec la brouette pleine, ou bien la fourche, n’hésitant pas à faire une escale dans le potager derrière nous. Potager dans lequel il se perdait, noyé dans une masse de feuilles de ronces et de tomates, qui bientôt dépassait nos têtes.

Notre terrain comprenait un certain nombre de bosses et de trous, façonnés par les taupes. Nos poteaux quant à eux, en pleine saison des fruits. Une belle saison.

Sachez-le, le ballon n’est pas l’ami des jardinier. Ainsi, comme il faut se méfier des bois du cervidé durant la saison du brame, il faut se méfier du râteau de l’hominidé durant la saison du foot. Comme de son regard torve. Pour cette raison, nous attendions que notre père ait le dos tourné pour tirer.

Entre nous deux, dans l’alignement de nos poteaux, se trouvait un magnifique prunier, aux branches un peu cassantes, bardé de magnifiques prunes. Notre père, passant devant nous, nous intime l’ordre de faire attention, évidemment. Et il est vrai que sur une pelouse à l’herbe fraîchement tondue, visualisant mieux les monticules de terre, nous pouvions nous atteler à respecter sa demande. Malheureusement, nos pieds, aux pointes arrondies, par leur imprécision, entamaient sérieusement notre piété filiale. Et il arrivait fréquemment que le prunier nous renvoie la balle. Dans ce cas, notre père arrivait en courant, un cri de râle pour le suivre, et ramassait, furibond, les prunes lamentablement échouées au sol.

Ainsi, disais-je, pour lui épargner bien des souffrances et que notre jeu ne soit pas gâché, nous décidions de tirer la balle dans son dos. Il arriva donc qu’une fois qu’il s’était absenté juste après nous avoir demandé une énième fois de faire attention, l’un de nous deux tira si fort que, heurtant violemment le tronc du jeune prunier, celui-ci se mua soudain en kalachnikov en direction du but adverse, les prunes vertes et mûres mitraillant à foison le gardien qui soudain, voyant le niveau du jeu augmenter brutalement, se courba en protégeant sa tête avec sa main.

Mais pas le temps de réfléchir, car le jardinier rôdant, il fallait faire disparaître les preuves. Cette année-là, la voisine a largement bénéficié de notre usufruit…

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