Souvenirs du jardin de mon père #1

Nous étions dans la cuisine, François et moi, par un après-midi de beau temps. La maison donnant sur la cour, la cour sur le jardin duquel nous venions. Car plusieurs fois par jour, spontanément émerveillés par la nature – antistress par essence – nous faisions des allées et venues, de l’intérieur vers l’extérieur, de l’extérieur vers l’intérieur.

Joachim zonait également. Nous le croisions régulièrement. Parfois l’entendions pester à l’étage depuis le rez-de-chaussée, tempêtant, martelant l’Amstrad sur lequel il prétendait jouer. Jouer à ce genre de jeu vidéo qui nous condamne à nous sentir malhabiles. Éternels perdants parce que le but, au final, n’est pas de triompher du jeu en lui-même. En réalité, nous nous battons contre l’ergonomie de la machine et j’ai toujours pensé que Monsieur Miyagi (Karaté kid) aurait dû ajouter à son entraînement détourné une partie de fruity frank ou de donkey kong pour améliorer précision, réflexes, dextérité et, bien sûr, self-control.

Dans le prétendu potager avaient poussé à foison des orties hautes de ma taille, un mètre soixante, (enfin, de mon point de vue, elles faisaient deux mètres), ce qui fait qu’il n’était pas question de nous y aventurer, du moins sans une armure et une épée adaptées. Mon père, bien trop motivé par sa vie en dehors du travail, toujours occupé à faire quelque chose entre la voiture, le grenier et le jardin, nous avait fait part de son intention de ratiboiser son futur potager.

« Papa, tu vas vraiment y aller torse-nu ?! — Bien sûr pourquoi ? — Tu es au courant que ce sont des orties ? — Oui, mais je ne risque rien. Tu les saisis au pied et elles tombent. » Après tout, lui, homme de la campagne depuis la naissance, avait l’air de savoir ce qu’il faisait. Fort de son assurance, il était donc parti en croisade. Et tandis que nous discutions sans plus y penser soudain un râle de douleur attira notre attention. Mon père déboulant dans la cuisine, je demandais sans surprise « Qu’est-ce qu’il y a ?! »

Il y avait qu’il avait appliqué sa stratégie à la lettre. Que saisissant au pied une ortie, celle-ci avait plié comme prévu, pour mieux s’étaler de part en part sur son dos. Ces orties, gorgées de tout ce qu’elles avaient pu emprunter au sol en friche, fortes de leur hauteur, piquaient méchamment, laissant à leurs pauvres victimes de grosses cloques comme souvenir. Je dois dire que ce jour-là, trop occupés à nous tordre de rire, nous n’avons pas su le plaindre. C’est un regret, d’autant plus que ça reste pour moi un bon souvenir. Pauvre papa, impitoyables gosses !

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